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Croissants chauds

Il fait un temps de rien. J'ai envie de rien foutre. « - Au boulot ! debout ! Vas participer à la croissance ! » La vache, je suis vachement soucieux de participer à la croissance de mon pays ! Je suis  un gars vachement patriote. J'suis carrément prêt à aller faire la guerre pour la croissance. Tiens, c'est marrant, l'idée s'est subrepticement logée dans mon crâne mou, j'ai dû l'entendre à la télé, j'sais pas. Quelqu'un a dû en douce manipuler mon cerveau. J'ai des idées de pièces rondes et de gros billets pour vacances aux Seychelles. Quentin est le nouveau vainqueur de la Star Academy... j'fais c'que j'peux, j'm'informe ! Je m'tiens au courant de l'actualité dans mon pays. Je suis quand même pas une bête. J'attends le premier disque de l'artiste pour découvrir son univers. Putain, je suis vraiment que dalle. On est que dalle face au vainqueur de la Star Academy. La croissance de la connerie est exponentielle, elle fluctue avec les cordons de la Bourse. « - Debout pour la croissance de ton pays ! » T'as raison, j'suis vraiment un gros fainéant. J'ai de la gélatine à la place du cerveau. Je voudrais bien me payer une grosse Ferrari pour être enfin heureux, pour profiter du bonheur les doigts de pieds en éventail. Me payer toutes ces choses qu'on voit à la télé. M'acheter la belle vie, quoi ! Mais je vis dans le béton et dans la noirceur de la ville. Je suis un rat dans le piège du matérialisme. J'ai attrapé le virus de la consommation. J'ai des idées de routine, de bagnole tous les matins, de pompes à essence. J'ai des horaires creuses gravées dans le ciboulot, de cantine, de poses-restaurant. Faut que j'me paie ma télé, ma console, un nouveau lave-vaisselle, un nouveau portable, un nouveau sac à main, les prochains cadeaux de Noël. Les impôts, les factures. J'ai un plan retraite, des actions chez Bouygues. Je travaille 35 heures par semaine. Pendant les vacances, je vais traîner mon cul sur les serviettes de l'Atlantique avec bungalows sur la plage. Je paie le restaurant, l'hôtel. Dans ma vie, je ne vois jamais le soleil. Je vois les promesses de l'aube sur les affiches quand je suis en retard au boulot. Mais je fais partie du monde. De sa complexité, de sa beauté et de son horreur. Je vous tend la main sur le trottoir. Je vous adresse un regard désolé. « Pour vivre, messieurs. Je ne demande pas l'aumône, j'ai trois enfants. » Dans les jardins de la ville, il y a des marmots qui jouent. Bateaux accrochés à une ficelle. Cerfs-volants. Eternité des spectacles. Aube. Il y a des ruelles sombres. Des avenues. La croissance est en marche. Chacun veut sa part de bonheur, son coin de serviette. C'est pourtant pas compliqué, la vie ! Le cravaté court à la croissance. Le vendeur de marrons aussi. La vendeuse de fringues aussi. Chacun a la conscience de son horizon mental et quotidien. Mais on ne vit pas pour soi. On ne vit pas de soi. Nous sommes dans la continuité de chaque être, nous sommes une partie de l'histoire. Des individus anonymes perdus dans l'immense foule journalière. Mais la nuit, tout s'en va. La nuit, les ombres prennent possession de notre histoire, de nos corps, de nos vies. La nuit, nos certitudes disparaissent. Il n'y a plus qu'une silhouette fuyante. Il n'y a plus qu'une lumière invisible. On a envie de rien foutre. De ne plus jamais se lever. De ne plus jamais entendre parler de la Star Academy, de la croissance et du patriotisme. On peut passer pour un fainéant ou un monstre. On peut aussi s'endormir avec le regard froid fixé sur un bout du néant de l'autre côté de la rue.

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