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NGC 581

  • Dernières nouvelles du désespoir

    Il est des choses que l’on dit par désespoir et d’autres que l’on camouffle par peur de salir. Dire la maladie, c’est affubler le malheur d’un double masque. Les gens ne le savent pas, mais les gens ne veulent pas voir la douleur. Moi j’ai de quoi mettre à mal leur confort intellectuel. « Tu es malade de quoi ? » …Mais les gens ne veulent pas entendre la réponse ! C’est une question qui n’appelle pas de réponse. Je suis malade du corps. Et alors ? Souhaitez-vous en savoir plus ? Non, vous n’avez aucun intérêt à entrer dans mon cerveau ! Prenez plutôt cette bouche de métro pour vous enfuir. Entrez plutôt dans ce restaurant. Ne laissez pas votre esprit s’abîmer sous la pluie. La vérité est insupportable. Il faut cacher la vérité ! Attention au soleil. Prenez soin de ne pas regarder le soleil ! Tout va bien quand la musique est forte et l’alcool dissout votre chagrin. Mais la lame est là, prête à vous mutiler. La ville est là pour vous opprimer et faire de vous une peau de serpent. Votre imagination s’affiche sur les panneaux publicitaires, mais votre imaginaire est bien lugubre. Vous avez signé pour le malheur de toute une vie. La maladie fait désormais partie de votre contrat. Allons, il y aura des jours meilleurs, quand il s’agira d’entrer dans la grande ville. Nous verrons les fenêtres allumées des grands immeubles ténébreux. Nous entendrons le murmure des automobiles dans les artères de la ville. Le malheur s’évaporera quand il s’agira de contempler les cerisiers, les canards. Il y aura des moments de bonheur sous la couverture des néons, dans le ciel qui s’entrouvrira au dessus de votre tête. Le génie de l’homme sera là, dans chaque musée, dans chaque théâtre, au coin de la rue. Vous oublierez l’espace d’un instant votre souffrance dissoute dans les pots d’échappement. Un rêve adolescent peut-il endiguer le souffle de la maladie ? Peut-on s’autoriser à ne plus penser par le filtre du malheur ? N’est-il pas infini ? N’y a-t-il pas qu’une rémission temporaire ? Retrouver le drame de toute une vie… Alors, il y aura la patience de l’écriture, la logique de la parole, l’exorcisme du verbe. Pour donner un sens à ce qui se cache au sein de l’esprit. Pour rendre la vie belle malgré tous les immondices. La beauté est là qui nous tend les mains. Savoir apprécier une éclaircie. Se départir de ses obsessions morbides. Rien n’est pire que la conscience de l’inconscient, que ce qui jaillit du cerveau dans un esprit malade. Ce que nous ne voyons pas, ce à quoi nous n’avons pas accès et qui n’a vocation qu’à demeurer caché ! La ville ne va pas s’arrêter parce qu’un être est malade, parce qu’il souffre du silence et du bruit ! Alors, j’aurais mieux fait de rester à l’asile. Non, les hommes ne veulent pas voir, ne sont pas prêts à savoir. En moi-même tout est secret. C’est à ce prix que l’on peut dire que le monde est beau. Dans l’ignorance du malheur ! Connaître un peu c’est déjà se condamner. La fleur qui pousse sur le fumier a-t-elle conscience d’elle-même ? Ne sont-ce pas des choses secrètes, dissimulées dans l’âme ? Tenons-nous loin de toute révélation. Il ne faut pas regarder le soleil en face. Il ne faut pas creuser le malheur. Heureux celui qui peut s’envoler libre de toutes entraves, celui qui vit dans la lumière. Les ténèbres sont un spectacle aveuglant. Juste garder une étincelle. Une lucidité. Un recul mesuré, raisonné. Passer entre les larmes de la pluie. Résister aux orages. Tout vient à temps pour celui qui sait attendre. La ville restera belle. Les illuminations du soir nous porteront vers ailleurs. Il y aura des petites joies, des sursauts de bonheur face aux lumières des immeubles. Dans la rue, flottera un rêve adolescent, quand le prisonnier se sera évadé, quand il courra libre parmi les passants. Chaque jour sera un réveil. Bien éphémère sera le bonheur quand il sortira du métro. Bien léger sera le vent qui portera mes angoisses. Mais parce que je sais, j’ai vu, j’ai connu le malheur, il restera toujours un espoir démesuré. Savoir se dire que tout recommencera peut-être un jour, quand la lumière des ténèbres aura dissipé les derniers doutes de mon cerveau.

     

  • Critique, par Hervé Martin

    Avec l’intitulé Talmont – Les Sables 2016-2017 précédant le titre, L'éternel recommencement se présente comme un journal rassemblant trente-cinq poèmes  écrit sur cette période. Des textes écrits au fil d’émotions et de sensations que font naître chez l’auteur des instants particuliers de la vie quotidienne. Les jours défilent dans les rituels d’habitude et de recommencements auxquels nous sommes pour la plupart contraints. Et c’est dans ces moments que prennent racine les premiers mots des poèmes. Ils sourdent de sentiments mêlés d’espérance, de refus ou de révolte. La vie est là subtile qui sourd et que le poème met en exergue. Elle jaillit sur la côte de l’atlantique au départ du Vendée globe, dans des trajets de taxi, sur une piste cyclable… Ou naît de la rencontre impromptue de personnes dans les rues ou à la vue de touristes sur les plages. Mais elle s'éclaire aussi au sein d’une galerie de peintures où Daniel Brochard expose ses premiers tableaux. Dans ces pages, une voix est bien présente dans sa singularité. Le poème, son écriture, poursuivent leur résonance propre du début à la fin du livre dans une même et touchante parole.

     

    Hervé Martin

     

    Article publié sur le site Hervé Martin d'Igny

    Hervé Martin a créé la revue Incertain regard en 1997.

     

    Catégories : Lectures Lien permanent
  • Critique, par Philippe Leuckx

    Daniel Brochard : « L’éternel recommencement »

     

    Trente-cinq poèmes, de bord de mer, de villégiature triste, à se remémorer les meilleurs moments comme les instants amers de flottement, quand les autres s’imposent et pèsent machinalement. L’air de mer est acide, les notations elliptiques, ironiques, constats de courses, examen des humeurs, observation des usages aux Sables de Talmont.


    Daniel Brochard, pour ce huitième recueil, tempère cependant les vers neurasthéniques (il se sait, le dit, le confesse, insiste, malade) d’une plongée dans le feu de longs vers construisant le réel à coups de sondes, de vacheries, de regards en biais, le moraliste pointe souvent le bout du nez dans cet univers léché, où la « boule de vanille » coûte vraiment trop cher.


    Il faudrait « connaître le terme du voyage ». Il serait utile de vivre mieux. « On fait semblant d’aller bien », lâche-t-il. « Pourquoi s’être tant abîmé sur les rochers ? »


    La vie use, s’use, et la poésie renâcle, il faut sans cesse l’alimenter, et Brochard n’est pas en reste pour deviner sous la carapace du réel toutes nos errances : entre vanité et amertume, entre fatigue de saisir le monde et de le voir s’envoler sans nous.


    « Le temps n’est qu’une minute pathétique » : le mot de la fin, toutefois, vise, comme le titre l’annonçait, sans doute parodiquement, ou selon l’âme voltairienne, « l’éternel recommencement ». Il faut bien se donner des gages de vivre.

     

    (Daniel Brochard : « L’éternel recommencement », éditions du Petit Pavé, coll. Le Semainier, 2018, 58 pages, 8€.)
     
    Cet article est de Philippe Leuckx et a été publié sur le site de la revue Texture : http://revue-texture.fr/
     
     
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