Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Réflexions

  • Dernières nouvelles du désespoir

    Il est des choses que l’on dit par désespoir et d’autres que l’on camouffle par peur de salir. Dire la maladie, c’est affubler le malheur d’un double masque. Les gens ne le savent pas, mais les gens ne veulent pas voir la douleur. Moi j’ai de quoi mettre à mal leur confort intellectuel. « Tu es malade de quoi ? » …Mais les gens ne veulent pas entendre la réponse ! C’est une question qui n’appelle pas de réponse. Je suis malade du corps. Et alors ? Souhaitez-vous en savoir plus ? Non, vous n’avez aucun intérêt à entrer dans mon cerveau ! Prenez plutôt cette bouche de métro pour vous enfuir. Entrez plutôt dans ce restaurant. Ne laissez pas votre esprit s’abîmer sous la pluie. La vérité est insupportable. Il faut cacher la vérité ! Attention au soleil. Prenez soin de ne pas regarder le soleil ! Tout va bien quand la musique est forte et l’alcool dissout votre chagrin. Mais la lame est là, prête à vous mutiler. La ville est là pour vous opprimer et faire de vous une peau de serpent. Votre imagination s’affiche sur les panneaux publicitaires, mais votre imaginaire est bien lugubre. Vous avez signé pour le malheur de toute une vie. La maladie fait désormais partie de votre contrat. Allons, il y aura des jours meilleurs, quand il s’agira d’entrer dans la grande ville. Nous verrons les fenêtres allumées des grands immeubles ténébreux. Nous entendrons le murmure des automobiles dans les artères de la ville. Le malheur s’évaporera quand il s’agira de contempler les cerisiers, les canards. Il y aura des moments de bonheur sous la couverture des néons, dans le ciel qui s’entrouvrira au dessus de votre tête. Le génie de l’homme sera là, dans chaque musée, dans chaque théâtre, au coin de la rue. Vous oublierez l’espace d’un instant votre souffrance dissoute dans les pots d’échappement. Un rêve adolescent peut-il endiguer le souffle de la maladie ? Peut-on s’autoriser à ne plus penser par le filtre du malheur ? N’est-il pas infini ? N’y a-t-il pas qu’une rémission temporaire ? Retrouver le drame de toute une vie… Alors, il y aura la patience de l’écriture, la logique de la parole, l’exorcisme du verbe. Pour donner un sens à ce qui se cache au sein de l’esprit. Pour rendre la vie belle malgré tous les immondices. La beauté est là qui nous tend les mains. Savoir apprécier une éclaircie. Se départir de ses obsessions morbides. Rien n’est pire que la conscience de l’inconscient, que ce qui jaillit du cerveau dans un esprit malade. Ce que nous ne voyons pas, ce à quoi nous n’avons pas accès et qui n’a vocation qu’à demeurer caché ! La ville ne va pas s’arrêter parce qu’un être est malade, parce qu’il souffre du silence et du bruit ! Alors, j’aurais mieux fait de rester à l’asile. Non, les hommes ne veulent pas voir, ne sont pas prêts à savoir. En moi-même tout est secret. C’est à ce prix que l’on peut dire que le monde est beau. Dans l’ignorance du malheur ! Connaître un peu c’est déjà se condamner. La fleur qui pousse sur le fumier a-t-elle conscience d’elle-même ? Ne sont-ce pas des choses secrètes, dissimulées dans l’âme ? Tenons-nous loin de toute révélation. Il ne faut pas regarder le soleil en face. Il ne faut pas creuser le malheur. Heureux celui qui peut s’envoler libre de toutes entraves, celui qui vit dans la lumière. Les ténèbres sont un spectacle aveuglant. Juste garder une étincelle. Une lucidité. Un recul mesuré, raisonné. Passer entre les larmes de la pluie. Résister aux orages. Tout vient à temps pour celui qui sait attendre. La ville restera belle. Les illuminations du soir nous porteront vers ailleurs. Il y aura des petites joies, des sursauts de bonheur face aux lumières des immeubles. Dans la rue, flottera un rêve adolescent, quand le prisonnier se sera évadé, quand il courra libre parmi les passants. Chaque jour sera un réveil. Bien éphémère sera le bonheur quand il sortira du métro. Bien léger sera le vent qui portera mes angoisses. Mais parce que je sais, j’ai vu, j’ai connu le malheur, il restera toujours un espoir démesuré. Savoir se dire que tout recommencera peut-être un jour, quand la lumière des ténèbres aura dissipé les derniers doutes de mon cerveau.

     

  • Chaque homme est assassiné

    J'ai tourné dans tous les sens des pensées impossibles, je me suis tapé violemment la tête contre le mur, j'ai voulu en finir avec cette saleté d'écriture, pour laisser le vide, le calme... mais rien, il n'est pas de repos ici-bas, on est pas sur Terre pour foutre que dalle, faut bosser comme des charognes ! Qui a été le premier à s'élancer... le mot ou l'esprit ? Je veux dire : suis-je esclave des mots et puis-je briser mes chaînes ? De toutes façons, les deux, on expulse ! On peut pas en stocker là dans les neurones, faut que ça sorte, à tout prix, faut que ça circule, faut que ça bouge sur les murs de la caverne ! Alors, on ne peut pas ouvrir le gaz, faut continuer à marcher au garde-à-vous ! Quand y a plus de piles, quand les batteries sont à plat faut prendre ses jambes à son cou, faut dégager vite fait ! Faut racler au fond du cerveau, agiter les ombres. C'est que ça raconte des histoires impossibles, pas faciles à comprendre. Je pose mes mots sur le réel comme je peux, je me brûle les doigts sur les mots... les mots c'est pire que tout, ça vous consume de l'intérieur, ça vous découpe en morceaux ! Même à marcher sur la plage déserte, y a toujours les mots qui cognent aux carreaux ! Y a toujours des massacres, des tortures dans la tête ! Alors, on peut pas aller se réfugier à l'autre bout de la terre, faut pas croire au Père Noël et aux contes de fées ! Où que vous alliez soyez prêts à affronter vos propres mots ! Ca vous court après comme un chien et ça vous mord le cul ! Il convient de rester immobile, à l'affût, prêt à dégager au bon moment quand ça vous saute à la gorge ! On peut toujours écrire une histoire avec les mots et quand elle est finie, on peut toujours rajouter un chapitre, un autre cauchemar, un autre charnier. Alors, fermer sa gueule, en quelque sorte, c'est tout à fait égoïste, c'est même carrément impossible ! Y a trop de cons sur Terre, on peut pas s'en tirer comme ça ! Et puis à l'intérieur aussi, ça s'agite trop dans tous les sens ! Alors, j'estime ne pas avoir le droit de fermer ma gueule. Puisque j'ai reconnu l'écriture comme élément vital. Tout comme j'ai une carte Vitale qui me sert à la pharmacie, j'en ai une sous les doigts pour la santé de ma conscience. Je sais que l'exercice est sans fin. Il ne s'agit pas d'une activité comme une autre. Et c'est désespérant. Désespérant de courir après les mots. Désespérant de s'agiter pour tout, pour rien. Un mot est-il écrit qu'un autre, que mille autres se pressent ! Le repos même est volé, précaire, menacé par tous les synonymes, par tous les signes de la langue française ! Chaque expression est une rumination. Je suis une vache : je rumine ! Une vache dans le pré qui regarde passer les trains. Je m'en fous pour ma gueule ; le repos tout relatif est bien là. Mais je suis alerte, attentif puisque c'est la nature de l'homme depuis qu'il a découvert le feu. Des centaines de milliers d'années plus tard, l'homme n'est pas sorti de sa préhistoire. Il s'enfonce dans les ténèbres. Je suis et nous sommes un élément insignifiant de ce monde. Ce n'est pas une raison pour se taire, pour ne pas gueuler sa rage partout où il est possible de la gueuler. Alors, on découvrira que nous ne sommes que des photons. Oui, la poésie n'a pas d'avenir dans les mots. Elle n'a pas d'avenir dans une construction qui la tienne. Elle est un château de cartes dès lors qu'elle oublie qu'elle est née et qu'elle est fruit de l'impossible. Déchirez vos poèmes ! Postez-les comme des nuages de coton dans le ciel. Si on peut encore croire à la poésie. Si on peut croire à son pouvoir de transformation. Oui, nous ne sommes pas fruits du poème, mais fruits des famines et des massacres passés et à venir. Terribles conséquences sur les mots. Terribles conséquences sur l'esprit. Le poète est un homme. Pas plus avancé ni plus intelligent qu'un autre. Le poète se tient au pied de la tour de Babel, face à toutes ses contradictions, sommé par sa conscience d'effectuer toutes ses métamorphoses. L'esprit encaisse, mais c'est bon pour la gueule. Il est bon de voyager, de découvrir de nouveaux horizons. Je suppose qu'il n'y a pas de clef. Je suppose que les questions se posent à chacun. Qu'on voudrait tous dépasser notre propre horizon. Je suppose qu'il n'y a pas de méthode, seulement des choix qui se font à chaque instant de la vie. Si la poésie est un miroir de nous-mêmes, à nous d'en faire une arme. A nous de faire du poème la foudre qui déchirera le ciel. Voyez, je crois encore à la poésie ! Alléluia ! NGC 581 n'est peut-être pas mort ! Mardi soir sur Arte le documentaire Le cauchemar de Darwin sur la vie en Tanzanie au bord du Lac Victoria et la mondialisation. Je ne mangerai plus de Perche du Nil. Des images insoutenables - mais elles sont bien de ce monde - de têtes de poissons frites et séchées au soleil parmi les vers et la puanteur... On y travaille les pieds dans la boue. Les enfants sont en haillons et se battent pour une assiette de riz. Ils sniffent de la colle. Fument. Dorment dans la rue. Les avions viennent à vide ou amènent des armes et repartent en Europe avec les poissons. Pour gagner de l'argent, il faut en vendre beaucoup et ils sont de plus en plus rares. On souffre de famine. Parfois, il faut faire la guerre. Un article du dernier numéro de La Vie indique que 24 000 personnes meurent chaque jour des conséquences de la faim, dont 18 000 enfants. Il n'y a pas de mots pour ça. Il n'y a pas de mots pour décrire tant de choses qui se passent aujourd'hui ailleurs, dans les murs et aux portes de ce monde occidental.

    « M. JEAN ZIEGLER, Rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation, a indiqué que malgré les nombreuses promesses faites pour éradiquer la faim lors du Sommet mondial de l'alimentation en 1996, le nombre de personnes souffrant de la faim ne cesse d'augmenter. Aujourd'hui, 852 millions de personnes souffrent de la faim, 24 000 personnes meurent de faim chaque jour, un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes et six millions d'entre eux n'atteindront jamais l'âge de cinq ans.  Cela dit, la planète produit de quoi nourrir tous les habitants de la planète et pourrait même nourrir 12 milliards de personnes.  La faim et la famine constituent donc une violation des droits de l'homme, a estimé M. Ziegler. Chaque homme qui meurt de faim aujourd'hui meurt assassiné, a-t-il dit. » Assemblée générale des Nations-Unies 25 octobre 2006.

  • Ailleurs

    Qu'il soit d'ici ou d'ailleurs, la vie du poète est un combat. Qu'il s'agisse d'un combat sur lui-même, d'un combat contre un asservissement ou une dictature, contre un ordre social établi et injuste. Nous devrions tous être attentifs à ces combats, car ils font notre identité, ils portent les valeurs chèrement acquises et auxquelles nous croyons : celles des Droits de l'Homme. Ce combat n'est jamais gagné d'avance mais il nous concerne tous à chaque instant. Il est plus qu'urgent de prendre la parole au nom de la poésie et de ces valeurs inaliénables, peut-être pas pour nous mais pour ceux qui croient encore fermement aux fondements et aux vertus de cette parole.

    Le poète dérive dans l'océan de son esprit ténébreux, à la recherche des photons comme autant de réponses à ses questions existentielles. En principe, une phrase vient après l'autre, sauf quand la douleur est trop grande, quand la parole ne suffit pas, quand il est impossible de s'exprimer en dehors d'une éructation involontaire ; alors l'écriture prend une dimension tragique, ne tenant sa libération que dans la rumination de la souffrance, insupportable. Le poète ne découvre l'or de son esprit qu'à force de travail, au prix de sa sueur. Le plus souvent, on peut lire sur sa porte : « Fermé, ne pas déranger. » C'est qu'il vit reclus dans sa caverne occupé à lutter contre des pensées qui n'ont jamais de fin. A quoi rime donc cette activité journalière ? N'espère-t-il pas accéder par là à un autre niveau de conscience ? Pourtant, il sait bien que rien n'est magique en ce monde, qu'il n'y a pas de miracle, que tout résulte d'un travail, d'un lent et difficile travail. Une à une, il explore les strates de son esprit, avec à chaque instant une idée de la fin. Il rêve du moment où il pourra se détourner de toute cette attention, mais il sait, il sait que seule la mort peut lui apporter cette ultime réponse. Alors il continue. Il reprend chaque matin sa route, refait éternellement les mêmes sentiers, se repasse incessamment le film de sa vie. Comme le condamné à mort qui fume sa dernière cigarette, il se souvient, en une seule minute l'intégralité de son existence repasse devant ses yeux. Comme si chaque seconde allait être la dernière. Et il ne peut pas passer à côté. Il ne peut pas ne pas ressentir cette angoisse qui lui remonte au cœur. Dans son royaume aquatique, l'éternité ne dure qu'une seule seconde et chaque seconde est une éternité. On se demande bien par quelle ouverture, par quelle brèche dans le tissu du néant son angoisse insurmontable se transforme en bain de soleil. Mystérieux est le passage entre ces états contradictoires. Pour chaque porte il existe une clef. Pour chaque poison il existe un antidote. Du moins c'est ce qu'il peut croire. Jusqu'à trouver la dernière porte, le dernier passage vers l'Autre monde. C'est bien ainsi qu'enfant, il s'imaginait le monde, c'est ainsi qu'il concevait la réalité. Et puis, qu'y a-t-il derrière le miroir ? Qu'y a-t-il au bout du chemin ? Comment se résoudre à ne pas savoir ? Il lui faut absolument savoir. Ses textes sont-ils définitivement condamnés à rester inachevés ? Sa pensée devra-t-elle rester en suspend ? Car il sait bien que les mystères de ce monde sont impénétrables. Il sait qu'en dehors du réel, il n'y a rien. Jusqu'au moment ultime il s'arrachera les cheveux. Jusqu'à la fin il continuera son étude, afin de savoir ici ce qu'il en est. Quelle présomption ! Mais peut-on lui reprocher sa curiosité, son intérêt pour ce qui défie la conscience depuis le début des temps ? Avec lui je ne cesse d'étudier cette réalité. Avec lui je m'insurge de la monstruosité de ce monde. Avec lui j'essaie quelques paroles dans l'utopie de peser au moins sur ce qui m'entoure. Et avec lui je suis face à ce miroir. Mon corps prend l'allure d'un point d'interrogation, les mots sont mes membres. Voici ce que je peux donner. Voici tout ce que j'ai pu rassembler de l'éparpillement, des neurones de ma conscience. Il y a forcément autre chose, ailleurs. Evidemment tout n'est pas dit dans ce miroir, je garde en moi et au fond des trous noirs un trait de caractère que je ne connais pas encore. Je suis un être inachevé. Je suis constitué de mes multiples reflets dans le miroir. J'ai derrière moi toute l'existence des cascades et des randonnées en montagne, tous les moments passés au bord de l'eau. Est-ce cela que nous appelons l'inconscient ? Cet océan intérieur, infini, cet horizon de stabilité et de dangers, de possibilités insondables. Et puis, avec lui je me demande : « - Où va-t-on ? » Avec lui je suis face à la fenêtre, la même fenêtre de mon enfance. Avec lui je regarde les étoiles, je distingue les constellations. Je me dis que le bonheur est ici, dans ce jardin, les yeux au ciel. Que la vie terrestre n'est qu'un passage vers une autre réalité, vers un autre espace-monde. Que cet être fugitif va peut-être s'inscrire dans la continuité des étoiles. Evidemment je rêve, évidemment je suis ailleurs. Evidemment je n'ai pas d'intérêts dans une vie matérielle. Je prépare mon accession vers l'au-delà, la montée vers le ciel. Me voici sur le quai de la gare, à attendre le train. Voici que mon corps est compressé dans le wagon. Voici qu'au-dessus de la ville s'échappe mon impossible rêve. Le saisir un instant, le suivre jusqu'à sa disparition dans les ténèbres. Utiliser son vol pour s'éloigner de ce monde. Ce monde qui appartient aux rêveurs et où le poète se tient avec le désespoir des oiseaux et l'espoir d'un ailleurs.