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Anatomie d'une expulsion

De nombreux termes dans la langue française permettent d'exprimer une idée similaire : la damnation, la malédiction, l'exclusion, la condamnation, l'expulsion... Notre imaginaire religieux et historique est riche de ces exemples, de ces jugements, de ces drames. La damnation serait le prix à payer pour un péché quelconque attribué à un comportement, à un individu ou à une nation. La condamnation est ce qui préoccupe la justice. N'est-elle pas ce qui pèse déjà sur les épaules usées des hommes ? Quant à l'expulsion, il en est une fort célèbre à l'origine de l'humanité : celle du Paradis. 

Ainsi lit-on dans la Genèse : « Puis Yahvé Dieu dit : "Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous, pour connaître le bien et le mal ! Qu'il n'étende pas la main, ne cueille aussi de l'arbre de vie, n'en mange et ne vive pour toujours !" Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d'Eden pour cultiver le sol d'où il avait été tiré. Il bannit l'homme et il posta devant le jardin d'Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie. »(Genèse, III, 22,24).

N'avons-nous pas fini de payer le prix de nos fautes ? La naissance elle-même n'est-elle pas une expulsion fameuse de l'Eden intra-utérin ? « Comme ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva. Elle mit au monde son fils premier-né. » (Luc, 2, 6-15) L'homme expulsé violemment des flancs maternels, se frayant un passage parmi la chair sanglante, rendu à la vérité du monde et à celle de ses péchés ! 

L'eau, l'élément originel à la source de la création et de la vie, peut aussi la reprendre. Il est étrange que ce 15 août fût marqué aussi de déchaînements climatiques à répétitions. Alors que les touristes sont expulsés des plages, nombre de catastrophes naturelles ponctuent l'actualité, tremblements de terre, cyclones et inondations. Les hommes sont expulsés par millions de leurs abris de fortune, comme sous la condamnation de la force du déluge. L'homme pécheur est à nouveau expulsé de ses terres. Il est écrit dans le Coran que Noé dit à son fils qui voulait se réfugier sur un mont : « Il n'y a aujourd'hui aucun protecteur contre l'ordre d'Allah. (Tous périront) sauf celui à qui Il fait miséricorde ». On pourrait penser à une autre catastrophe décrite, celle de l'Apocalypse, on peut se dire aussi que chaque époque l'a déjà annoncée et que les bouleversements climatiques ne sont dus qu'à l'ignorance et à la bêtise des hommes.

Ainsi, ce 15 août fut marqué par des inondations importantes, au Bangladesh, en Afrique de l'est, en Corée du nord, et ailleurs :

« Les inondations qui frappent le Bangladesh ont fait une quarantaine de morts supplémentaires dans la nuit de mardi à mercredi, portant à un demi-millier le nombre des décès enregistrés dans le pays depuis le début de la catastrophe. Le niveau des eaux a baissé, mais des millions de personnes restent sans abri et sont exposées aux maladies, essentiellement liées à la consommation d'eau non potable. » Express.fr, le 15 août.

« Des pluies diluviennes continuaient de s'abattre samedi en Afrique de l'Est alors que des inondations ont déjà forcé des centaines de milliers de personnes à se déplacer, augmentant les craintes d'une pénurie de vivres et d'une propagation des maladies dans la région. "De nombreuses personnes ont cherché refuge dans des églises (...) tandis que d'autres ont quitté les zones touchées pour aller rejoindre des membres de leurs familles. » AFP, le 18 août.

« Selon les calculs des équipes de la FICR, au moins 14.000 maisons ont été détruites dans deux des six provinces inondées : Hamgyong Sud, sur la côte est, et Kangwon, près de la frontière sud-coréenne. Un peu plus tôt, un responsable du Programme alimentaire mondial (PAM) de l'ONU avait estimé à 300.000 le nombre de personnes potentiellement affectées par les intempéries. » Le soir en ligne,15 août.

D'autres damnations ont marqué notre temps, intolérables car portant atteinte à la dignité même de l'homme. La plupart du temps, il s'agissait de massacres portant sur Terre le feu de l'Enfer. Ce feu que l'homme a volé à la nuit, dont il a fait un instrument de torture et d'abomination. Le feu, autre élément d'apocalypse que l'homme s'est approprié, lui qui a expulsé Dieu de sa raison ! Ce même feu qui brûlait les livres sous le nazisme, les sorcières sous l'inquisition et les juifs à Auschwitz et à Sobibor ! Qu'y a-t-il de pire que cette damnation de l'humain, que cet enfer que l'homme entretient ici et qui déchire l'Histoire ? Peut-être le temps est-il venu de payer  pour nos fautes, celles qui justifieraient notre condamnation. 

« Les déportations commencent. Une première vague d'arrestations a lieu entre le 22 juillet et le 12 septembre 1942 : 300.000 Juifs sont arrêtés et conduits au camp de Treblinka où ils sont exterminés. 5000 à 6000 personnes chaque jour sont ainsi emmenées vers la Umschlagplatz d'où elles sont déportées par trains vers le lieu de leur extermination! Il ne reste plus ensuite qu'environ 70.000 Juifs dans le ghetto dont la surface est rétrécie. »

« Le 19 avril 1943, les nazis décident de déporter les derniers Juifs et pénètrent en force dans le ghetto encerclé : 16 officiers et 850 soldats participent à l'action. La résistance est pourtant très importante. »

Soyons donc attentifs à l'Histoire. Aucune société n'est à l'abri de ses répétitions. L'Histoire a montré les tourments de l'enfer, elle peut nous faire craindre une damnation pour notre incapacité à vivre ensemble, avec l'Autre. L'homme fait face à des catastrophes écologiques inquiétantes, aux guerres qui se répètent, à la misère sociale. Il serait temps de faire renaître ce qui a été expulsé avec tant de violence : la parole.

Il faut croire que ce sont les riches, les puissants, ceux qui ont quelque chose à perdre qui ont le pouvoir de la parole. Ceux qui sont capables d'exclusion , de mainmise sur l'économie, la politique. Il semble que quelque soit le verbe, il s'agit toujours de rejet, de refus, de renvoi. Nous expulsons une misère parce que nous ne trouvons pas les moyens de la combattre, nous accusons de tous les maux ceux qui ne nous ressemblent pas. Et cette petite minorité, ces marchands du temple que Dieu n'a pas encore expulsés,  font leur pain sur le dos de la misère humaine depuis que l'homme a inventé l'argent !

Regardons autour de nous, à Cachan,  en août 2006 : « Le jeudi 17 août, les forces de police ont procédé à l'expulsion, dans des conditions qui s'apparentent à une rafle, de près d'un millier d'habitants qui occupaient depuis plusieurs années un bâtiment de la cité universitaire de Cachan dans le Val de Marne. » Sud éducation.org.

Et regardons aujourd'hui : « Après l'accident d'Ivan jeudi à Amiens, le Réseau éducation sans frontières fustige dimanche le renvoi dans leur pays d'un Mongol et d'un Ukrainien ce week-end. » Libération, le 12 août. « C'est un enfant, il a douze ans, il est entre la vie et la mort à Amiens. Il aurait pu être Chinois, être plus âgé, et le drame aurait pu avoir lieu à Dôle, Lyon, Lille ou n'importe où en France. Ce n'est pas un accident. C'est l'effet direct et inéluctable de la politique imposée aux préfectures et aux policiers par le gouvernement. Les services sont soumis à des quotas en matière d'interpellation. » (125 000 exigés par le ministre en 2007) et d'expulsions (25 000). RESF, communiqué du 9 août 2007.

Regardons les enfants qui ont peur à l'école, les parents qui ne quittent plus leurs 10 mètres carrés de peur d'être contrôlés par la police. Les rafles à l'abri de tous les regards, les quotas, les arrestations arbitraires. Peut-on supporter ces conditions sans avoir expulsé de soi-même une certaine humanité ? Ceux que nous expulsons des immeubles, ceux que nous expulsons de nos entreprises, ceux que l'on refoule parce que différents, ne sont-ils pas eux aussi désireux de paix et de prospérité ?

Au final, ce fossé entre les hommes, les cultures, les nations, est palpable ici et ailleurs. La majorité des hommes est exclue du progrès, ne vit que des restes et de presque rien, subissant les assauts du climat, vivant dans une violence permanente, sans la possibilité de se faire entendre.

Chez nous, les artistes n'ont plus la parole. Il devient de plus en plus difficile d'émettre une idée, une opinion. Les grands médias bâillonnent l'expression. On expulse, on efface, on dissimule. Ecrire, créer est un acte de résistance qu'il faut assumer sous peine de silence. C'est ainsi que de nombreuses voix s'élèvent avec l'espoir de se faire entendre.  

Ces deux thèmes : l'exclusion, l'expulsion sont en ce moment, je le suppose, chers à Lili-Oto, un artiste bordelais, et pourraient lui inspirer quelques créations. Les artistes qui se sont eux-mêmes exclus d'une certaine facilité, d'une relation privilégiée à l'argent, eux qui souhaitent autre chose que l'éternel combat, la sacro-sainte compétition, ont à charge de nous proposer une autre vie. Partout où un peintre dresse sa toile, où un artiste installe son oeuvre, il y a interrogation, comme pour dire : le miroir qu'est la création ne fait pas qu'expulser votre image, il la sanctifie, la sacralise, la dresse au rang d'énigme. L'artiste vous questionne : dans quelle mesure êtes-vous prêts à raccorder en vous les fils de la lumière avant que l'ombre ne l'engloutisse dans un abîme noir et sans fond ?

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