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NGC 581 - Page 18

  • La poésie cannibale

    Tout ce qui passe à proximité de l'esprit est susceptible de former le poème. Le poème est un organisme cannibale capable de s'auto dévorer jusqu'à l'absurde. En l'absence de réponses définitives, la morsure devient mortelle, rongeant le corps et l'esprit. Que reste-t-il d'autre à la poésie que ce repas anthropophage où tant de poètes sombrent, se suicident et disparaissent ? Ce cannibalisme premier a été formé avec le terreau de la littérature et en constitue le socle. La poésie contemporaine oscille entre deux formes distinctes de la pensée écrite. L'une peut être austère, a priori difficile d'accès ou nécessitant une réflexion intense, une faculté à laisser son esprit être entraîné sur de longs chemins ; l'autre s'efforce de prendre pour point de départ le réel en en montrant les questions importantes, les injustices, les tragédies. Il existerait une autre forme de poésie que l'on pourrait dire totale qui engloberait les deux formes primaires, en ouvrant une nouvelle voie et de nouveaux défis. Cela impliquerait que l'on prenne la vie dans sa totalité, dans la multitude de toutes ses formes, nécessitant forcément une prise de conscience préalable, une idée du chemin à parcourir. Il faudrait admettre d'être porté assez longtemps par la vague, le temps d'en mesurer l'étendue, l'importance. Ce travail sur soi serait aussi un travail sur le monde, produit d'une unique écriture. La poésie serait orientée, mesurée, assumée pour son tout et non plus pour une partie de sa substance. On retrouverait en quelque sorte le sujet, la cible, la signification de l'essence et du combat à mener.

    La poésie est une forme de pensée bien particulière tenue aujourd'hui par les anonymes et par ses élites, choyée comme un trésor. Chacun essaie d'en mesurer les paramètres, les enjeux. La poésie s'auto alimente, s'auto subventionne. Les médias s'en foutent bien que les poètes existent. Ceux qui ont la parole n'en ont rien à cirer de ceux qui écrivent aussi bizarrement. Même au sein de son propre entourage, le poète est un être à part, suspect, potentiellement dangereux, défiant les normes et dont la pensée fait peur. Le combat est inégal. Désespéré. Puisque cela est affaire d'écriture, de littérature, quelque chose de lointain, d'inaccessible. Or tous les efforts sont à faire pour qu'elle redevienne accessible, pour qu'elle sorte de son ghetto, de ses laboratoires. Ce combat est double. Interne, car il convient de penser le monde, d'y introduire une dimension critique, sociale. Et externe, car fondamentalement la poésie pour exister a besoin de s'ouvrir au monde, d'aller à la rencontre, de susciter le questionnement.

    Cette pensée totale ne serait plus exclusivement poétique mais pourrait être reprise par chacun. La poésie serait une sorte de langage commun, universel, compréhensible par tous. Qui sait quelles révolutions pourraient apparaître alors ? Puisque la poésie a toujours voulu s'approprier le monde, peser sur lui, d'une façon utopique et désespérée. S'il est encore des êtres assez fous pour oser croire à son pouvoir, alors qu'un anonymat flagrant pèse sur ses acteurs, s'il est encore des utopistes capables de la sauver de sa propre mort alors qu'elle s'essouffle peu à peu, sa folle conquête n'est peut-être pas vaine.

    Face à l'actualité et aux très justifiées inquiétudes, on sait pertinemment que les enjeux pèsent lourdement sur les épaules. Nous en sommes encore aux temps du cannibalisme, de la lutte pour les protéines, pour la matière, pour le feu. Les enjeux sont bien ceux de la survie, des orientations sociales et culturelles. Ces questions sont bien plus importantes que nos revues, nos publications, nos marchés. Faut-il se dire que tout est perdu tant que le monde ne fera pas sa propre analyse, tant que la parole ne sera pas libérée de ceux qui la possèdent honteusement ? Faut-il se dire que la lutte est sociale, économique et politique avant d'être une question d'écriture et de diffusion de la littérature ? Ce n'est pas la poésie qui est en cause, elle n'est pas destinée à s'auto digérer. Les hommes sont en crise de croissance. Nos sociétés devront faire face à des changements réels qui touchent à leur propre survie. Nos certitudes seront remises en question. Notre façon de vivre, de penser sera bouleversée par les changements à venir. Pauvre petite poésie face aux colosses qui sont les piliers du monde ! Penser ne se fera plus exclusivement à la lueur de la lampe ! Il faudra bien refaire le monde ! Que la poésie soit à l'affût, prête à effectuer son travail de sangsue ! Qu'elle guette dans l'ombre une opportunité de sortir de sa tanière ! Seules les idées ont un avenir. La véritable révolution est encore une utopie dont chacun attend l'avènement. Quand les puissants, les fous auront enfin compris, dans leur logique pécuniaire et sanglante, quand chacun se sera confronté aux réalités du monde, peut-être regardera-t-on du côté de ceux qui auront annoncé les métamorphoses à venir. Les hommes de bonne volonté seront ceux-là. Nous ne sommes pas condamnés à nous entre-dévorer. Nous ne sommes pas condamnés au silence. Tout repose sur quelques atomes, sur quelques connexions.

    La poésie est petite et fragile. La poésie totale appartient à chacun d'entre nous. Elle est une force incompressible, irrésistible. Une force perdue dans un immense univers.

  • Comme en Poésie n°31

    2aa8027320caed05749e350a3d93bab8.jpgL'illustration de couverture de Comme en poésie n°31 montre une porte donnant vue sur un port. On peut résumer la poésie ainsi : une accession vers un ailleurs, une pénétration dans un espace. Jean-Pierre Lesieur, qui prévoit une enquête sur le poète au 21ème siècle, prend la situation de la poésie avec humour et grincements de dents, évoquant le Sarkozysme aigu actuel, la question de l'utilité de l'écriture, la crise d'audience de la poésie, la mode éphémère du Slam et les histoires rocambolesques. Comme en poésie, c'est cette parole franche, libre, passionnée que l'on retrouve à chaque numéro, où poètes connus et débutants se côtoient aisément, comme ici Luce Guilbaud, Danielle Lambert, Fabrice Marzuolo, Alain Kewes, Gérard Lemaire, Jacques Taurand, Olivier Aulry, pour n'en citer que quelques-uns. Entre autres découvertes, celle de Anne Blayo à l'écriture juste et touchante (« A bicyclette vers la mer. La voir avant de partir. Humer son énergie. L'aube n'est pas encore. Je longe le golf, traverse la ville, grimpe la dune et toujours alors, elle irradie ourlée d'écume. Soudain, là, un abîme noir comme ma pupille en mydriase, de l'encre au fond. Ni horizon. Ni ciel. Ni mer. L'obscurité étale. Le sentiment d'être trahie. Repartir avec cette prédiction. ») A lire absolument, Comme en société, très juste réflexion de Mona Chollet qui démontre que le terme de poète, ce grand mot, ne désigne que l'activité de quelqu'un qui par ailleurs peut exercer n'importe quel métier. La plupart des auteurs n'ont de statut social que d'après leur second métier. Ce besoin d'exister différemment entre souvent en conflit (voir Kafka) avec ce statut (« Une aspiration humaine essentielle, mais compromise, dans tous les secteurs d'activité, par l'automatisation et la standardisation. ») Ce « besoin qui existe chez tout le monde, mais qui ne trouve pas toujours à s'exprimer » détermine aussi la question du bonheur. Je pense que chacun pourra trouver son propre sens à ces mots. A méditer, la « pasticherie » de Claude Albarède, ou comment citer des dizaines de poètes contemporains de Guillaume Apollinaire mentionnés par lui dans le Mercure de France entre 1900 et 1910 comme faisant partie de l'avant-scène, aujourd'hui disparus dans les ténèbres de l'oubli. Eh oui... non seulement nous retournerons à la poussière mais la postérité oubliera notre nom... à moins qu'un autre Albarède n'ait l'idée d'en citer dans sa Ballade des poètes du temps jadis... dans un siècle ! Qui a dit que nous n'étions pas grand chose ? Je ne saurais trop vous conseiller l'abonnement à Comme en poésie : 1 an, 4 numéros - 12 euros. Etranger - 15 euros. Le numéro - 3 euros. Ecrire à Jean-Pierre Lesieur - 2149 avenue du Tour du lac, 40150 Hossegor. Comme sur Internet : http://comme.en.poesie.over-blog.com/

  • Parmi les revues

    Pour reprendre un travail de présentation de revues dans le blog Mot à Maux, en voici quelques-unes reçues récemment. Petites ou grandes, peu importe, il s'agit bien de faire circuler la poésie. D'ailleurs, où en est-elle la poésie ? C'est un peu la question que chacun se pose. Si l'on en juge par le nombre de revues, elle paraît plutôt bien se porter. Si on regarde un peu ailleurs, vers son audience, elle nous apparaît bien isolée. Quoi qu'il en soit, il y a quand même quelques mordus qui ne lâchent pas le morceau ! Il n'est qu'à voir le nombre de poètes, on se dit que la poésie doit pouvoir se sortir du mauvais pas. Le travail est bien entamé ; je pense que sans ces rencontres particulières en salons, en marchés de toutes sortes, la poésie serait encore un peu plus orpheline. De même pour les revues, dont certaines disparaissent et d'autres sont créées, qui entretiennent une unité de l'activité poétique de chacun, des nations et des genres. Certaines sont très modestes, d'autres semblent plus ancrées dans le paysage, tout cela contribue au même tissu social. Où en est la poésie ? N'est-elle pas constamment prête à surgir de l'ombre, en actions souterraines, désespérée, au bord de la crise de nerf, un peu comme chacun finalement ? C'est qu'entre réalité et utopie, il y a tout un monde. Nous ne faisons pas le poids face à la machine économique. Autant se frapper la tête contre les murs, ils ne bougeront pas. Pas de fatalité pourtant, les rêves font partie de notre univers. Nous savons les faire briller. Leur rendre leur signification première. Et qui a dit que le combat était désespéré ?

    2112df0c2fad0af53d0e1c1a16c37927.jpgLibelle (n°182) : mensuel de poésie : J’ai rencontré Michel Prades lors d’un marché, assis à sa table près d’une fontaine. L’image du poète humble au milieu de cet univers urbain dont les griffes sont d’acier. On se dit que cinq-six pages ce n’est pas grand chose, mais cela contraste fortement avec ces magazines papier glacé. L’esthétique est autre, les buts forcément divergents. Beaucoup d’auteurs au sommaire : Matthieu Gosztola, Lorand Gaspar, Constantin Frosin, Dan Leuteneger… plus quelques chroniques. 116, rue Pelleport – 75020 Paris (12n°/an) 25 euros. http://michelprades.estsurle.net/

    Virgule (n°5) : Une expérience d’édition encore plus radicale, menée par le très créatif Rodolphe Olcèse et ses compagnons de L’envers du geste. On peut consulter la revue sous format pdf, mais autant la commander à Rodolphe. Seule revue que je connaisse dont la couverture est toute blanche (blanc cassé). La mise en page est remarquable, agrémentée de photos noir et blanc. Les poèmes y parlent de la vie moderne, urbaine. Au sommaire : Yann Goupil, Sébastien Tavel, Orlan Roy, Antoine Parouty, Marc Barbé, Damien Marguet, Rodolphe Olcèse. Pour commander, écrire à Rodolphe, via son blog : http://rodolpheo.hautetfort.com/

    89276b66c489d6eed42f5e70f9cd644f.jpg Triages (n°19) : « Revue littéraire et artistique » annuelle des éditions Tarabuste. En première partie de ce dix-neuvième numéro, « Des écritures qui font signe » poèmes de onze auteurs, dont Sabine Bruneteau qui s'interroge sur la « perception d'une modèle ». De très bons textes de Sabine déjà publiée dans Mot à Maux, Verso et Friches. Puis « Je ne sais pas... » de Bernard Vargaftig et un entretien entre Alexis Pelletier et Dominique Lemaître, accord entre musique et poésie. Un second entretien avec Louise Barbu, entre poésie et peinture. Jacques Lèbre nous livre son expérience de guichetier. La rubrique cuisine nous rappelle quant à elle que la poésie est aussi un art culinaire, celui d'agencer les mots afin de produire une sensation ou une réflexion. On pense ici au surréalisme qui utilisait aussi ce procédé d'insertion dans la production de ses œuvres. Claude Held livre enfin une très belle réflexion sur la poésie qui commence ainsi : « La poésie occupe une place paradoxale dans la vie littéraire française. Elle est la belle putain de la langue, inaccessible, lointaine, hautement désirable, chantée, adulée par ce qu'il est convenu d'appeler des « élites » et tout à la fois ignorée, marginalisée par les médias et l'édition institutionnelle, par un monde fondé sur le marketing, le rentable à court terme, le scoop de l'immédiat. » La revue Triages s'ouvre à tous les visages de la poésie tout en menant une réflexion sur celle-ci et ses rapports avec le monde. Un travail important à découvrir chaque année. Ecrire à Djamel Meskache, Rue du Fort - 36170 Saint-Benoît-du-Sault. Le numéro : 23 euros.

    J’ajouterai régulièrement quelques revues dans cette rubrique. Du moins celles que je peux recevoir.